Oiseaux du Monde n°396 – Avril 2022

Académie vétérinaire de France
L’Influenza aviaire, un emballement non médiatique et une menace devenue récurrente.
La situation vis à vis de l’Influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) redevient à nouveau explosive en France. L’accélération de l’épizootie s’est en effet observée ces tout derniers jours dans la région Pays de Loire avec, à la date du 15 mars et selon les toutes dernières informations fournies par le ministère de l’Agriculture, 792 foyers en élevage confirmés dont 385 en Vendée. Au 4 mars, la France comptait 443 foyers d’Influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) en élevage (dont 58 foyers confirmés en Vendée et 11 foyers en Loire-Atlantique), 35 cas en faune sauvage et 17 cas en oiseaux de basse-cour. L’épizootie d’IAHP actuelle est la pire des 4 crises ayant touché le territoire français depuis l’hiver 2015-2016.
Les foyers recensés à ce jour se situent très majoritairement dans une zone à la fois sensible et stratégique car elle héberge de nombreux élevages d’oiseaux reproducteurs et de nombreux couvoirs de toutes les filières avicoles. Près de 500 000 volailles y ont déjà été abattues, et plus de 4 millions au total depuis le début de de la crise.
L’épizootie à influenza aviaire possède un caractère saisonnier. Véhiculée par les oiseaux migrateurs venant d’Asie, elle commence généralement à se développer en octobre en Europe et elle se poursuit jusqu’en avril. Alors que les épizooties étaient autrefois espacées dans le temps, elles réapparaissent tous les ans depuis cette date.
Ces crises à répétition génèrent des coûts considérables pour les professionnels (arrêts de production, fermeture de marchés à l’exportation) et pour l’État (indemnisation des éleveurs suite aux animaux abattus, pertes économiques induites). Elles perturbent également gravement, ce qui nous concerne directement, les expositions d’oiseaux.
Pour mémoire, la grippe aviaire ou l’Influenza aviaire est une maladie virale due à un virus Influenza (du genre Orthomyxovirus et de la famille des Orthomyxoviridae) de type A. Elle est également appelée « peste aviaire » mais ne doit pas être confondue avec la pseudopeste aviaire qui correspond à la maladie de Newcastle. L’IA est également à différencier de la peste (ou entérite à virus) du canard (duck virus enteritis) due à un herpèsvirus.
L’IA peut s’observer chez de nombreux oiseaux : surtout les Galliformes (poule, dinde, pintade, caille) et les Ansériformes, mais aussi les Passériformes, les Gruiformes ou bien d’autres taxons. La dinde semble plus sensible que le poulet, alors que le canard et le pigeon sont plus résistants mais cette sensibilité est très variable selon la souche virale. Les espèces sauvages peuvent être aussi cliniquement affectées, comme cela est décrit lors d’infections par le virus H5N1 HP (lignée asiatique) ou par le virus H5N8 HP. Les virus Influenza peuvent également infecter les Félidés domestiques (chats, virus H5N1 en Thaïlande et en Allemagne) et sauvages (tigres, panthères, …), les porcs et l’homme mais l’infection reste généralement inapparente.

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Plusieurs sous-types existent en fonction des antigènes de surface H (hémaglutinines) et N (neuraminidases); chez les oiseaux, il existe 16 sous-types H et 9 sous-types N qui peuvent donner 144 combinaisons, lesquelles semblent toutes pouvoir infecter toutes les espèces d’oiseaux. Presque toutes les combinaisons de sous-types ont pu être isolées, ce qui témoigne de la grande variabilité antigénique de ces virus grippaux Influenza de type A. Cette variabilité peut être liée à une dérive antigénique ou à l’apparition de nouveaux sous-types. La grippe aviaire est transmissible entre volailles et plus rarement à des mammifères (dont le porc qui est à la fois réceptif aux virus grippaux aviaires et virus grippaux humains).
Le tableau clinique est très variable, comparable à celui de la maladie de Newcastle.
La maladie est parfois inapparente. Après une incubation de 2 à 3 jours (parfois plus, jusqu’à 14 jours dans les formes atténuées), les oiseaux infectés développent :
- Soit des formes aiguës et suraiguës dues aux virus IAHP : septicémie avec mort brutale sans symptômes ou évolution rapide vers la mort après 1 à 2 jours de prostration intense associée à des signes cutanés (nécrose de la crête, des barbillons et des pattes), digestifs, respiratoires et neurologiques. Les lésions les plus significatives sont celles d’une septicémie hémorragique. C’est la grande contagiosité et la forte mortalité qui ont valu à ces formes d’IA la dénomination de peste aviaire.
- Soit des formes atténuées dues à des virus IAFP n’entraînant pas de fortes mortalités dans les élevages. Ces virus IAFP tuent de 2 à 3 % des volailles infectées, mais en cas de co-infections bactériennes ou virales jusqu’à 40 % chez les jeunes dindonneaux et jusqu’à 20 % chez les dindes reproductrices. L’infection de certaines espèces (Anatidés, par exemple) est fréquemment inapparente.
L’IAHP, décrite dès la fin du siècle dernier en Europe sous la dénomination « peste aviaire » , est régulièrement responsable d’épizooties dans toutes les régions du monde (Amérique du Nord, Europe, Asie, …). Parmi les plus meurtrières, on peut citer celle de 1983-1984 aux USA en Pennsylvanie (virus H5N2, abattage de 17 millions de volailles pour un coût de 60 millions de dollars et des pertes indirectes estimées à plus de 100 millions de dollars), celle de 1994 au Pakistan (virus H7N3, 2 millions de volailles mortes), et au Mexique (virus H5N2, 26 millions de volailles mortes). En 2003 une épizootie particulièrement grave a touché les Pays-Bas (H7N7, plus de 13 millions de volailles mortes) puis la Belgique (8 foyers) et l’Allemagne (1 foyer).
Plusieurs souches virales HP affectent actuellement des élevages de volailles à travers le monde, notamment en Asie, où ont émergé des souches particulièrement virulentes. La plus importante, en raison de son double impact, économique et zoonotique, est la souche H5N1 HP (lignée Guandong 96, dite aussi « lignée asiatique ») apparue fin 2003 dans le sud-est asiatique et qui s’est étendue à une grande partie du monde. Cette souche a évolué par réassortiment génétique avec d’autres souches de virus influenza aviaires, conduisant à l’émergence de nouveaux sous-types, notamment H5N8 et H5N6. Depuis 2019, les souches H5N8 continuent de circuler en Europe de l’Est et de l’Ouest, et elles sont responsables d’une recrudescence de foyers domestiques affectant initialement surtout les élevages de canards et d’oies, puis des élevages de dindes et poules pondeuses.
En France, quatre épizooties dues à des souches HP ont été décrites depuis les 15 dernières années et la cinquième est en cours actuellement :
- 2006-2007 : souche H5N1 HP (lignée asiatique) dans deux foyers affectant l’avifaune sauvage (fuligules milouins et cygnes), et un élevage de dindes de chair.
- 2015-2016 : différentes souches de type H5 HP (H5N1, H5N2, H5N9), dans des élevages de canards prêts à gaver et de poules ou pintades situés à proximité des élevages de canards du sud-ouest.
- 2016-2017 : souche H5N8 HP introduite par des Anatidés migrateurs, responsable de nombreux foyers recensés dans l’avifaune sauvage et domestique dans plusieurs pays européens.
- 2020-2021 : souche H5N8 introduite à partir d’oiseaux sauvages migrateurs. Ce virus a été responsable de nombreux foyers dans les élevages de volailles et dans la faune sauvage en Europe. L’épizootie d’IZHP a sévi au cours de l’hiver dans le compartiment élevage, principalement dans le sud-ouest et dans une moindre mesure en Vendée / Deux-Sèvres, ainsi que dans la filière animalerie / ornement en Corse / Yvelines. 492 foyers H5N8 HP ont été confirmés dans les élevages de canards du sud-ouest, 20 cas ont été confirmés dans la faune sauvage et 1 cas dans la faune captive.
- 2021-2022 : le premier foyer IAHP a été détecté le 26 novembre 2021, dans un élevage commercial de poules pondeuses dans le Nord. Vingt-neuf pays sont aujourd’hui touchés sur l’ensemble du continent européen qui recensait près de 400 foyers en élevage et 700 cas dans la faune sauvage début janvier 2022. Cette épizootie s’est caractérisée par une plus grande ampleur que les précédentes (2016- 2017 et 2019-2020). Le sous-type H5N8 est majoritaire, et le sous-type H5N1 minoritaire et localisé (élevage de canards prêts à gaver dans le Gers).
Les virus IAHP ont très probablement été introduits en France continentale lors de la migration postnuptiale « descendante » d’automne. L’épizootie a ensuite été véhiculée dans la grande majorité des cas par les eaux contaminées par les fientes d’oiseaux infectés.
Les très rares cas de transmission entre humains dus au virus H5N1 sont restés épisodiques. En fait, les souches aviaires sont mal adaptées à la multiplication chez l’Homme (la plupart des virus de la grippe aviaire ne sont pas pathogènes pour l’homme, mais certaines souches peuvent être zoonotiques), ce qui explique le caractère habituellement rare et souvent sporadique de l’infection humaine par ces souches. Les cas d’infection humaine qualifiés de grippe aviaire affectent des personnes en contact étroit avec des oiseaux infectés (malades ou non).
On citera à titre d’exemples :
- Les cas humains bénins (essentiellement des conjonctivites) dus à un virus H7N7 décrits en 2003 aux Pays-Bas.
- Les cas graves (formes respiratoires graves d’évolution souvent mortelle) décrits depuis 2003, notamment en Asie, à la suite d’infections par des souches H5N1 HP (lignée asiatique, 59 % de mortalité pour 603 cas confirmés) ou, depuis mars 2013 en Chine, par des souches H7N9 (32 % de mortalité pour 365 cas confirmés). Des cas humains sporadiques dus à des souches H5N6 HP sont aussi détectés depuis 2014 en Chine.
L’absence de transmission interhumaine limite cependant l’impact de ces contaminations interspécifiques. Pourtant, la crainte que l’acquisition de nouveaux facteurs de virulence favorise l’émergence d’une souche capable de se propager dans les populations humaines a fait redouter qu’elle puisse être à l’origine d’une nouvelle pandémie de grippe humaine, à l’image de la pandémie de grippe espagnole de 1918 née de l’adaptation à l’Homme d’une souche aviaire H1N1, ou de celles de 1957 et 1968, dont l’origine était liée à l’émergence de nouveaux sous-types (respectivement H2N2 et H3N2) issus du réassortiment génétique entre une souche aviaire et une souche humaine chez le porc, à la suite d’infections mixtes. Il est aussi à craindre qu’un tel réassortiment puisse se produire directement chez l’Homme.
Pour terminer sur une note moins pessimiste, il est bon de rappeler également que la consommation de viande, œufs et foie gras ne présente pas de risques pour les humains.
Pour conclure, l’épizootie s’emballe, la vigilance s’impose, mais le risque zoonotique reste pratiquement nul, l’Humain n’étant pas sensible à la souche H5N8.
Cet éditorial a été écrit le 16 mars 2022. Depuis, la situation épidémiologique a quelque peu évolué. Dans le grand ouest, l’augmentation du nombre de foyers d‘influenza hautement pathogène (IAHP) ralentit notamment en Vendée, tandis que la situation reste stable en Bretagne, avec toujours 6 foyers en élevage, répartis dans le Morbihan, l’Ille-et-Vilaine et le Finistère. Dans le sud-ouest, la zone initialement touchée autour des Landes/Gers/Pyrénées-Atlantiques est stabilisée depuis le début du mois de mars. A la date du 22 avril 2022, selon les chiffres du Ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation,1330 foyers ont été confirmés en élevage, 46 cas en faune sauvage et 30 cas en volailles de basse-cour.
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