Édito par Guy Barat

Oiseaux du Monde n°380 – Octobre 2020

Guy Barat, Dr en Pharmacie, Commission des Becs Fins de l’UOF

Ce lundi 5 octobre j’entame une nouvelle semaine sans trop changer à mes habitudes. Soins aux oiseaux le matin, jardin, bricolage et occupations associatives l’après-midi. La saison de reproduction de mes insectivores, en particulier les Shamas, s’achève. Parmi leurs jeunes (3 cette année, pas mal en tenant compte du fait que j’ai dû remplacer la précédente femelle qui avait accompagné mon mâle durant treize ans) j’ai décidé de former un nouveau couple par des échanges. Les temps évoluent, les éleveurs d’oiseaux insectivores se raréfient, quant aux autres ils sont moins nombreux, une réalité qui inquiète et qu’on retrouve signalée par une autre fédération nationale, le CDE. Voilà donc le thème de cet édito.

Bref le moral n’est pas au beau fixe d’autant qu’un certain coronavirus fait des siennes en Ile de France. Au point que le gouvernement, par voie préfectorale, a imposé le port du masque, qu’ils s’agissent des lieux clos ou non, dans les villes de plus de 10 000 habitants et la mienne fait partie du nombre. Dans les rues, de 6h du matin à 22h on doit supporter cet accessoire sous peine de payer une amende de 135 euros, le prix d’un beau couple de granivores. Certains portent des noms de circonstance, le diamant masqué par exemple. Lui n’a rien à craindre, il est en règle.

Mes amis des petites villes de province vous ne connaissez pas votre bonheur de voir encore des sourires exprimés librement dans vos rues.

Le poète Virgile dans ses Géorgiques avait déjà senti le vent il y a quelques siècles : trop heureux les hommes des champs, s’ils connaissaient leur bonheur. Je vous épargne la version latine. Cela s’oppose à l’échange vif entre Bernard Blier et Jean Carmet, le premier furieux contre Dame Nature dans le film « Buffet froid » : « j’en ai marre de la verdure, tout est vert ici (…)… calme-toi (…) Parce que tu trouves ça calme, toi avec ces oiseaux à la con (…) Ils commencent à me taper sur le système ». Visiblement tous les français, et en particulier les éleveurs, ne seront pas d’accord, surtout après un confinement passé dans des lieux exigus.

La Covid-19, ce serait alors la revanche de la campagne sur la ville,  la victoire du pavillon, de son jardin et d’éventuelles volières sur le béton urbain rimant avec petits appartements, promiscuité autant qu’enfermement avec au final un mal de vivre nuisible.

Mais je reviens à ce lundi, un coup de téléphone me sort d’une routine pesante. Notre président, Pierre Channoy, qui veille avec bonheur aux destinées de notre fédération et qu’il nous faut soutenir, me propose de faire un édito dans le prochain numéro. Surpris tout d’abord mais honoré de la démarche je réalise l’opportunité pour un vieux de la vieille comme moi de comparer l’évolution actuelle du monde des éleveurs avec la situation d’il y a seulement quinze à vingt ans. Et c’est tout sauf encourageant.

Le nombre des éleveurs est en baisse même si, de tous temps, certains  se sont affranchis des règles et préfèrent l’ombre à la lumière : ni bagues ni déclaration. Pour vivre heureux vivons cachés. Mais bon, sans besoin de prendre une loupe le constat est sans appel, on voit même une autre fédération faire sonner le tocsin craignant pour l’avenir de sa revue en mal de financement. Allons-nous assister au déclin de notre passion, de ses beautés et de ses richesses ? Me revient la phrase de Paul Valéry : « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles ». Après de longues périodes relativement fastes et qui semblaient devoir durer, notre passion est aujourd’hui contestée voire condamnée sans appel. Nos pratiques sont mises à mal sur des réseaux dits sociaux ! Des catégories de citoyens longtemps minoritaires s’affirment de plus en plus, exemple le Parti dit animaliste qui a réussi une percée aux élections européennes et ne compte pas en rester là. Selon certaines informations il vise une présence dans les commissions ministérielles qui nous régissent.

 

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On peut imaginer à l’avenir le déroulement des opérations de démolition : d’abord la disparition des animaux dits sauvages dans les cirques au motif qu’on ne respecte pas leur instinct ; interdiction de la corrida, un spectacle jugé dégradant ; fermeture des petits parcs zoologiques offrant des espaces trop réduits à leurs pensionnaires. En ce qui nous concerne imposition de conditions plus restrictives (mot à la mode) pour l’obtention du Certificat de Capacité, déclarations à l’IFAP surveillées avec amendes à la clé, contrôle plus strict des bourses qui permettent des échanges ou apport  de sang neuf. Motif invoqué: les ventes ne sont pas soumises à déclaration fiscale. Bref notre passion serait pour beaucoup d’« écologistes » devenue un anachronisme.

Actuellement nos réactions sont assez frileuses. Notre confrère, le CDE, déroule sa méthode : envois de sa revue à l’Administration ainsi qu’à la Presse. à mon avis sans grand succès. On peut lui préférer la recherche d’un dialogue avec les pouvoirs publics, qui, eux-mêmes sont soumis aux pressions précitées. Donc résultats longs et incertains.

Pour compléter ce tableau une autre difficulté s’annonce ardue à gérer : la chute des éleveurs et par conséquent des ressources financières pour notre économie. Pourquoi cette érosion ? Lassitude devant les contrôles administratifs, besoin de passer à autre chose ? Élever c’est passer du temps, avoir moins de liberté, occuper des espaces plus ou moins importants de la maison. Sans compter les frais engendrés peu compensés par des prix de vente soumis à des marchandages usants. On veut tout pour rien.

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Ces Oiseaux Appelés
Les Becs Fins

198 pages – Edition 2017

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Comment réagir ? Vis à vis des pouvoirs publics il nous faut être irréprochables. Trop de bourses et même d’expos mal tenues donnent une impression de laisser aller et même de manque de respect pour les animaux.

En interne améliorer notre revue par des articles sérieux mais pas que. Les thèmes doivent être variés et si possible scientifiques. Je m’y suis attelé avec des articles sur l’archéoptéryx,  la fin honteuse du pigeon migrateur américain. D’autres sont en préparation.

Objectif : montrer que notre passion ne saurait se résumer à des nids, des pâtées d’élevage ou des poses de bagues. J’aimerais aussi voir le retour de la librairie…

Si nous n’y prenons pas garde la fin des oiseaux en cage peut clore la situation actuelle. Les civilisations sont soumises à ce qu’on appelle l’immanence de la régression. Comme la pomme de Newton elles sont immanquablement tirées vers le bas. Un oiseau en vol stationnaire qui veut maintenir sa hauteur dans le ciel doit fournir un effort (en battant des ailes). S’il veut s’élever, il doit battre encore plus vite. Et s’il arrête de fournir des efforts il tombe. C’est exactement la même chose pour les civilisations. Plus on évolue et plus ça devient lourd à supporter. Pour rappel une civilisation en décadence est marquée par la défensivivité, le pessimisme, la croyance en un État-providence et l’individualisme. Liste non exhaustive à méditer.

 

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